Vincent Mahey : La musique en partage

11 décembre 2015

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Photo : Jean-Baptiste Millot

Nous y voilà ! A la source de la création sonore et au tout début de cette longue chaine de reproduction du son et de la musique ! Rencontre avec Vincent Mahey, ingénieur du son gérant du studio Sextan, l’occasion d’une discussion passionnante, d’une visite des lieux, et d’une discrète présence en cabine de mixage pendant une séance d’enregistrement .

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Il faut montrer patte blanche avant de voir s’ouvrir les immenses portes métalliques de cette discrète rue de Malakoff située juste de l’autre côté du périphérique parisien. Une grande cour accueille une école du son et les studios Sextan. Je suis chaleureusement accueilli par Vincent Mahey.

Un lieu chargé d’histoire

Le 10 de la rue Eugène Varlin est un lieu emblématique à bien des égards. Au début du 20e siècle cet endroit accueillait l’activité du fondeur Eugène Rudier, principal partenaire de l’oeuvre de Rodin . C’est ici qu’à été fondu le fameux « penseur ». Créé dans les années 1970 Sextan c’est d’abord une activité de sonorisation de concerts puis un studio qui accueille à partir des années 80 de grands noms du jazz, de la musique brésilienne, africaine ou de la chanson française. On y croise à l’époque des artistes aussi variés que Touré Kunda, Nana Vasconscellos, Didier Malherbe ou , Brigite Fontaine Dans les années 90 Sextan développe également une activité de formation professionnelle qui deviendra par la suite l’école EMC (Ecole supérieure des métiers du multimédia, de l’audiovisuel, du son).3LYG2Qqz

4 questions à Vincent Mahey

  • A quelle période avez-vous rejoint le studio Sextan ?

A mon retour de Los Angeles en 1985. J’avais suivi là-bas une formation d’ingénieur du son et je suis arrivé aux studios Sextan où J’ai été engagé comme assistant de Jean Paul Debard, l’un des cofondateurs du studio. Dès cette époque j’avais déjà fait le choix de partager mon activité entre le studio et la sonorisation de concerts. En 1986 j’ai créé ma propre entité Pee Wee Mobile , prestataire de service dont la vocation de départ était l’enregistrement Live, activité rapidement complétée par la sonorisation en tournée et pour les festivals. Nos clients d’alors étaient Dizzy Gilespie , Tania Maria, Michel Petrucciani, papa Wemba, Youssou Nd’our, l’ONJ, Jazz à la Vilette …. En 1995, j’ai réalisé un rêve, celui de créer un label : Pee Wee music. 35 albums jazz et musique du monde ont été produits pour Pee Wee entre 1995 et 2000 ( Tania Maria, Pedro Bacan , Emmanuel Bex, Andy Emler, Olympic Gramophon , Kartet , Françis Bebey …)

En 2000 Pee Wee et Sextan ont fusionné leur activité. Pee wee est revenu « au bercail » de Malakoff en ajoutant au studio existant son activité de sonorisation. Je poursuivais mes deux cœurs de métiers : la sonorisation de concerts et l’activité d’enregistrement studio avec Lucky Peterson, Ahmad Jamal, Les Lounge Lizards, Lisa Ekdhal, Banlieues Bleues, Paris Jazz festival , Orélans Jazz festival … En 2006 nous avons construit un nouveau studio , celui dans lequel vous vous trouvez aujourd’hui . Nous avons baptisé la pièce la fonderie, en hommage à Rodin et Rudier .

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  • Comment définissez-vous le métier d’ingénieur du son et quelle est votre façon d’aborder votre travail en studio ?

Le preneur de son doit concilier deux considérations presque opposées. D’une part il doit assumer à plein le fait qu’il est un interprète. Son point de vue ou plutôt son point d’écoute est un parti pris. Il est illusoire de penser qu’il puisse être transparent. De ce point de vue la quête d’une complète fidélité est une chimère qu’il faut abandonner le plus vite possible. D’un autre côté il ne faut jamais oublier que la prise de son doit être au service de la musique. Il faut donc garder une grande humilité pour avant tout comprendre les intentions du musicien et trouver le meilleur angle pour les transmettre à l’auditeur. Dans le cas des musiques instrumentales acoustiques, cela est particulièrement vrai. J’aurais alors le souci principal de soigner les conditions d’écoute, le confort général, accorder les énergies, pour favoriser l’émergence d’une « performance magique ». Il y a bien sûr aussi les musiques qui réclament autre chose de la « technique ». La prise de son devient alors encore plus créative et fait alors partie intégrante du processus de création, la production du son est intégrée dans la composition musicale.

  • En quoi votre grande expérience de la sonorisation de concerts influence-t-elle votre travail dans votre approche de la prise de son studio ?

Pour la préparation d’un concert, je peux passer 3 heures pour arriver à caler mon système de sonorisation en fonction de l’acoustique du lieu. J’ai toujours considéré le lieu de diffusion comme un instrument de musique à part en entière. J’entretiens avec les lieux un rapport très particulier, je cherche à le comprendre et à l’appréhender de manière sensitive, à établir une complicité avec la salle qui me permettra d’adapter au mieux le message à diffuser. Ce travail spécifique a sans doute engendré des méthodes qui doivent influencer mon approche en studio. La nécessité avant toute chose de contrôler et maitriser la source fait son doute parti de mon ADN . Et puis bien sûr mon expérience de la scène me sert beaucoup en studio pour aménager les conditions nécessaires à la « performance ». Cette histoire de performance, l’idée de retrouver en studio la spontanéité que l’on peut avoir face à un public, c’est déterminant dans le cas des musiques improvisées qui continuent de m’occuper principalement. A l’inverse, mon savoir-faire en studio m’aide à aller vers la scène avec d’autres techniques de prise de son et une approche globale plus ouverte. Par exemple j’aime utiliser pour le live des techniques de stéréo de phase et d’intensité plus souvent rencontrées en studio. Je ne me prive pas, quand c’est possible d’éloigner mes micros des sources, je ne redoute pas du tout la diaphonie, au contraire j’aime m’en servir .

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  • Quelle relation entretenez-vous avec votre matériel ?

Je ne suis pas à vrai dire un maniaque de matos, je considère le matériel comme un outil de travail, je dispose d’un équipement que je connais bien. Je suis plus attaché au développement lent d’un environnement qui me convient parfaitement qu’à la course aux armements. C’est en partie, bien sûr, une posture raisonnable liée aux contraintes de mon économie, mais c’est aussi parce que je ne suis pas un passionné de technologie. En studio nous disposons de trois paires d’enceintes monitoring : Une « grosse » écoute maison conçue spécialement pour la pièce par le génial Philippe Teissier, des Focal SM9-actives et des Pro Ac Studio 100. J’utilise principalement ma grande écoute et les Pro Ac. D’autres réalisateurs préfères les Focal, nous avons aussi à disposition des Genelec 10 31. Je reste aussi très attaché à quelques « pièces » rares comme ce très vieux microphone Neuman U47 à lampes qui est juste merveilleux. Les micros en général continuent de me faire briller les yeux. Ce sont des outils très personnels, très influents sur notre signature sonore.

Visite des lieux et petite « immersion » en cabine

La cabine est en hauteur, elle surplombe un immense plateau qui comprend un très grand studio de 150 m2 et deux cabines De 20 et 23 m3 isolées acoustiquement, mais qui disposent d’ouvertures permettant de communiquer visuellement avec l’extérieur. Le grand studio est équipé d’un magnifique parquet en bois massif, Les murs sont recouverts de terre façon tadelakt marocain. La pièce est chaleureuse et permet de recevoir de grandes formations, 50 micros peuvent être enregistrés simultanément.

Nous sommes le dernier jour d’enregistrement du trio de Manuel Rocheman* qui a fait le choix d’utiliser le plateau et deux cabines, ce qui permet d’isoler la prise de son de chaque instrument. La disposition des cabines et l’agencement de « fenêtres » au travers des panneaux acoustiques amovibles permettent néanmoins aux trois musiciens de se voir. Autre avantage : chacun des musiciens travaille au casque et dispose d’une petite console qui lui permet de contrôler directement le retour du son dans son casque de gérer lui même le volume et la balance des trois instruments qu’il souhaite entendre.

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Je prends place dans le fond de la cabine à l’étage pour ne pas gêner le travail concentré de Vincent Mahey La console dispose d’un grand écran de contrôle avec l’application professionnelle Protools qui permet de visualiser et de contrôler chacune des pistes. L’enregistrement numérique et l’outil Protools se gèrent un peu à la manière d’un programme informatique avec un clavier et une souris. Chaque piste visualisée à l’écran correspond à une entrée micro spécifique, à noter que l’enregistrement de cette formation piano/basse/batterie nécessite l’utilisation de 24 micros. Avec l’assistant-ingénieur du son, je fais l’inventaire des micros : six pour le piano, quatre pour la contrebasse et sept pour la batterie. Au total ce seront 14 pistes mono et 5 stéréo qui seront utilisées pour le mixage final. Sous la console et à gauche de celle-ci, je constate un impressionnant empilement d’électroniques avec notamment de très nombreux préamplificateurs micro.

Après chaque prise, les musiciens remontent en cabine pour faire des écoutes afin de choisir les parties qui seront sélectionnées et conservées. Cette étape consiste au montage et à l’assemblage des pistes les unes avec les autres. Ce long travail d’assemblage servira de base à l’étape suivante : le mixage qui permettra d’équilibrer et d’harmoniser toutes les pistes. La toute dernière étape de mastérisation (comme un ultime coup de rabot) aura pour objet de préparer le fichier master qui servira au pressage des CD ou à l’envoi aux plateformes de diffusion comme Qobuz.
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Le « timer » de la console (qui cumule le temps d’enregistrement depuis la première séance) affiche 7h35 lorsque je quitte le studio. Il représente le temps total d’enregistrement cumulé pour un disque qui au final n’excèdera pas 40 minutes. Malgré l’impressionnant dispositif de matériel numérique du studio, ce long et minutieux travail est à vraiment à comparer avec celui d’un artisan qui est aussi le chef d’orchestre d’un dispositif essentiel dans la captation de la musique.

Vincent Mahey a le cœur à l’ouvrage, sa grande maitrise technique et son appétit sans limites pour la musique se complète d’une qualité rare : une grande générosité avec la musique en partage.

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* Manuel Rocheman, Piano – Matthiass Allamane (contrebasse), Mathieu Charenzec (batterie)

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