Mais quel est donc ce sympathique petit zèbre qui s’invite sur de très nombreux livrets de CD depuis plus de quinze ans ? C’est Zig-Zag Territoires un label fondé en 1997 par Franck Jaffrès et Sylvie Brély et racheté en 2010 par la maison de disques belge Outhere .
Zig-Zag Territoires est né de la soif de ces jeunes trentenaires de l’époque de produire de la musique autrement. Franck Jaffrès commence sa carrière comme ingénieur du son, puis il constate que le temps consacré à la production d’un disque se réduit de plus en plus et que la partie technique finit par passer totalement au second plan. Le label est donc né avec une belle envie de tourner le dos à ces pratiques et de prendre du temps, du temps avec les artistes, du temps pour travailler autant que possible la signature sonore de chaque projet.
A l’occasion d’une séance de montage, j’ai eu le plaisir de rencontrer cette semaine Franck Jaffrès, l’occasion d’aborder cet aspect « post enregistrement » assez peu connu du grand public et pourtant essentiel dans la conception d’un album. Il me reçoit tout près des grands boulevards, dans son bureau, sous les toits de Paris. Je tombe nez à nez avec deux écrans d’ordinateur, une grande partition annotée et juste en face une belle paire d’enceintes monitoring Genelec (fabricant finlandais).
Nous entrons donc dans le vif du sujet, sur l’ouvrage aujourd’hui : le montage d’un enregistrement du pianiste Yury Martynov (Symphonies de Beethoven dans la transcription de Liszt N° 3) effectué dans une église de Haarlem aux Pays Bas (voir aussi un interessant reportage vidéo sur Yuri Martynov et cet enregistrement). Franck Jaffrès explique que l’objectif de ce minutieux travail de montage est de sélectionner les meilleures prises un peu comme le ferai un cinéaste au montage d’un film. A partir de la vingtaine d’heures d’enregistrement, il ne faudra garder que le programme de cette œuvre de quatre vingt minutes.
« Grâce à la technologie numérique nous avons une très grande liberté, je peux agir sur la partie la plus infime de l’enregistrement, choisir la note ou le passage issu de la prise qui me parait la meilleure. Le but étant aussi de vérifier que la partition d’orchestre soit scrupuleusement respectée, il s’agit de remettre chaque note à sa place. L’objectif final de ce montage étant aussi de respecter et de sublimer le geste du musicien : tout ce qui permettra de rendre l’interprétation la meilleure possible, choisir parmi les attaques, les liaisons, les notes retenues … pour rendre l’ensemble parfaitement fluide. Le premier travail consiste par un petit « nettoyage » puis vient le premier travail d’assemblage des meilleures prises de sons et dans chacune d’elle, il s’agit parfois de remplacer un mouvement, une note, un travail de « rustine » qui peut s’opérer dans un espace temps très court, de l’ordre de la milliseconde. Je sais que ce travail de découpage quasi chirurgical peut surprendre mais je tiens à rappeler que l’interprétation du musicien reste absolument essentielle sans laquelle on ne peut rien et que ce travail de montage n’a que pour but que de magnifier son interprétation. » tient–il à préciser.
Ce travail de montage dure environ deux à trois jours, mais le travail de correction final avec l’interprète va lui durer cinq jours. Ensuite le fichier master ainsi finalisé sera envoyé pour la gravure de CD ou sera diffusé dans des services de musique à la demande comme Qobuz dans un format CD ou tel quel en fichier « studio master ».
Notre conversation en vient naturellement à évoquer le marché du disque et la fragile situation des labels indépendants, Franck Jaffrès explique aussi les difficultés du marché du disque par les choix de grands distributeurs qui ont dramatiquement fait disparaitre le métier de disquaire. « Si les offres de musique dématérialisée sont devenues incontournables, pour le moment elles ne représentent qu’un marché supplémentaire. Le CD continue de cohabiter avec les vinyles et la musique dématérialisée. Je reste pour ma part convaincu qu’une partie du public n’est pas disposé à se passer totalement d’un support physique. Il est donc assez probable que le CD ne disparaisse pas totalement, mais il se peut qu’en se raréfiant, il devienne peu à peu un objet exceptionnel. » précise t-il.
Aujourd’hui Zig-Zag territoires à plus de 200 albums à son actif, si le répertoire est majoritairement classique, le label se diversifie depuis 2006 vers d’autres territoires comme celui du jazz ou des musiques du monde. Des « étiquettes » qui deviennent bien désuètes face au travail artistique du label qui fait vivre avec une vitalité rare la musique qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui. L’esthétique sonore est très aboutie et un sens rare du détail, le label propose des objets-disques singuliers avec un design et des visuels originaux, d’étonnantes photos d’interprètes et des livrets souvent très intéressants.
Cette vitalité créative apporte une valeur ajoutée sans commune mesure à ces enregistrements, qui de facto plongent un très grand nombre de productions concurrentes dans une banalité déconcertante.
Un vrai coup de coeur pour cet album, l’acoustique particulière du piano Erard de 1905
offre une réelle redécouverte du répertoire de Satie : absolument formidable !