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Le dernier album de Chick Corea “Two” paru en octobre 2015 est passé relativement inaperçu, pourtant il mérite une attention toute particulière. Fruit de la rencontre entre le pianiste et le joueur de Banjo américain Béla Fleck, cet album est réjouissant tant par la singularité d’une telle rencontre que par la complicité créative des deux musiciens.
La planète jazz est peuplée de musiciens sans frontières, le patrimoine jazzistique est riche de rencontres métisses incroyablement variées. Sur la pertinence d’un duo piano banjo, on aurait tout de même quelques bonnes raisons d’être franchement sceptique sur la pertinence de cette association quelque peu iconoclaste. Véritable virtuose instrumental, Béla Fleck a construit son parcours et sa carrière sur une très solide pratique dans le domaine de la musique country et Blue grass. Mais l’intéressé (considéré tout de même comme le meilleur joueur de banjo du moment) peut aussi revendiquer depuis le début des années 90 de très nombreuses collaborations dans des contextes jazz rock ou jazz fusion avec une bonne dizaine d’albums avec sa formation « Fleck and the flecktones ». Autant d’initiatives qui ont permis de reconsidérer le banjo comme un instrument à part entière et plus seulement comme un instrument dédié au seul folklore américain.
Nos deux musiciens ont donc choisi pour ce double album des titres d’une grande variété, on y retrouve des thèmes jazz, assez peu de titres du répertoire country et quelques curiosités avec ces thèmes de musique contemporaine d’Henri Dutilleux. Autant de choix qui brouillent les cartes et qui démontrent (s’il en était besoin) la très grande ouverture d’esprit musical. La réunion de ces artistes s’est d’abord construite sur une parfaite entente et sur une même approche de la musique et du duo en particulier. « Notre duo ne nécessite par véritablement d’un grand travail de préparation, nous avons souhaité surtout laisser une très grande place au dialogue à l’improvisation et au jeu dans l’instant présent. Plus vous êtes libéré des contraintes et plus vous pourrez vous exprimer de manière décontractée . Le public se rend compte assez rapidement que nous ne savons pas exactement où nous souhaitons aller, chaque concert est différent et chaque soir, la magie opère d’une manière différente. Il y a une sorte de complicité et une relation particulière entre nous qui rend cette conversation musicale sans cesse renouvelée. » déclarait Chick Corea l’an dernier à l’occasion d’une série de concerts .
Cette improbable rencontre enfante d’une étonnante association de sonorités instrumentales et stylistiques, le mariage des timbres offre un contraste saisissant entre la couleur chaleureuse du grand piano de concert et le son très mat des cordes d’un banjo. Si le piano de Chick Corea nous renvoie bien évidemment au monde du jazz, le son du banjo nous projette vers une sonorité très typée Blue Grass, mais c’est sans compter la virtuosité de Béla Fleck qui utilise toutes les ressources de l’instrument d’une manière époustouflante. Il fait sonner le banjo dans un registre parfaitement inhabituel, souvent à la manière d’un guitariste de jazz.
Ces deux artistes ont en effet comme point commun une très grande maitrise instrumentale, ils développent ici un sens exceptionnel de l’écoute dans le cadre de séquences d’improvisation hors du commun. Le fruit de cette rencontre est spectaculaire, la musique se déploie avec une grande fluidité, le plaisir de jeu des deux musiciens est totalement perceptible et on se familiarise en réalité très rapidement à ce mariage d’un genre nouveau. L’humour s’invite également dans l’échange et la conversation des deux artistes. La deuxième plage (Ménagerie) est une séquence d’improvisation des plus réjouissante un peu à la manière d’une course poursuite sous la forme d’un gag.
A noter la remarquable prise de son qui offre un subtil équilibre de timbres et une parfaite balance entre les deux instruments tout en reproduisant la belle acoustique de la salle. La dynamique du public joue ici à plein lorsque les deux compères se complaisent dans un dialogue bon enfant et franchement sympathique avec le public.
Cet album s’inscrit parfaitement dans l’impressionnante discographie du pianiste tant on peut retrouver l’engagement lyrique qui cohabite à merveille avec le banjo et la démarche de se confronter avec d’autres univers qui est l’une des marques de fabrique de Chick Corea depuis toujours. Au final ce dialogue nous offre des séquences de jeu et d’improvisations majestueuses et très ludiques, un duo d’une étonnante fraicheur comme un hommage à la liberté. A écouter absolument !
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- Chick Corea & Béla Fleck “Two” (Concord Music – 2015)
- A écouter également: Chick Corea « Portraits » (Concord Music – 2014) un très beau double album live en solo, comme à son habitude le pianiste entretien une relation très chaleureuse avec le public, ici les thèmes sont entrecoupés de petites interventions parlées où il évoque ses choix, ses influences. Un autre album indispensable.
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