Alban Sautour : un artiste du son

29 septembre 2017

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Cette semaine, je vous propose une nouvelle rencontre dans la série d’interviews avec des ingénieurs du son dont le savoir-faire représente l’une des pièces maitresses de cette grande fabrique du son. Ce quatrième opus vous permettra de découvrir le travail d’Alban Sautour, un ingénieur du son singulier qui nous livre sa vision et sa façon de travailler. Entretien

Il se trouve qu’Alban Sautour a réalisé certains enregistrements dont j’ai déjà parlé dans ce blog ou dans les playlists comme ce très beau duo piano / clavecin “BACH, PLUCKED / UNPLUCKED” entre Edouard Ferlet et Violaine Cochard ou encore ce sublime album « Paris-Istanbul-Shanghai » de Joël Grare . Un musicien que j’ai rencontré au printemps dernier dans son studio à Tours et que j’ai retrouvé cette semaine en compagnie d’Alban Sautour à l’occasion du mixage d’un nouvel album fraichement enregistré avec notamment le contrebassiste Simon Buffard et quelques invités. Depuis 25 ans, Alban Sautour multiplie les collaborations avec de nombreux artistes sur une grande variété de projets, il a noué aussi avec quelques fidélités au long court qui lui ont permis d’inscrire sa marque et sa singularité.

Quel est a été votre parcours professionnel pour devenir ingénieur du son ?

Je possède une formation de musicien classique avec des études de violoncelle au conservatoire national de musique (CNR) de Rennes, plus tard je me suis mis à la guitare, le piano et la basse électrique. Par la suite j’ai intégré la FSMS (Formation Supérieure aux Métiers du Son) au Conservatoire de Paris (CNSM,) un cursus hybride technique et artistique, en 4 ans qui nécessite à la fois un très bon niveau scientifique et un solide bagage musical. En sortant du CNSM, j’ai travaillé avec Armand Amar pour un label de musique orientale qu’il avait créé, ce qui m’a projeté dans des univers instrumentaux totalement inconnus pour moi. Puis rapidement des projets très variés se sont succédé dans le domaine du jazz, de la musique du monde, mais aussi de la pop, avec notamment la réalisation du premier album éponyme de Zaz il y a 6 ans. J’ai collaboré sur de nombreuses musiques de film notamment avec Armand Amar, comme compositeur pour des musiques additionnelles ou comme guitariste. Depuis une vingtaine d’années, tous ces projets m’ont permis de développer des affinités artistiques et humaines fortes.

La dernière réalisation d’Alban Sautour

Comment pourriez-vous définir votre métier d’ingénieur du son et quelle est votre façon d’aborder votre travail ?

Je ne me considère précisément pas seulement comme un technicien, mais je conçois mon travail de manière beaucoup plus large. Il est évident que mon expérience d’instrumentiste et ma connaissance de la musique me permettent de comprendre assez précisément le travail des artistes et les possibles questionnements des musiciens pendant les enregistrements. La base fondamentale de mon travail s’appuie d’abord sur un dialogue avec les artistes, et l’établissement d’une relation de confiance et de respect mutuel. Par ailleurs, et notamment à cause des contraintes budgétaires liées aux évolutions du marché du disque, le temps où l’on faisait appel à des métiers et des compétences spécifiques est un peu révolu. Il est donc très fréquent que je réalise la prise de son, le mixage et le mastering, et parfois plus encore. On me demande souvent d’assurer la direction artistique d’un album. Il s’agit dans le cas d’un enregistrement de musique classique, de veiller au respect de la partition et de l’interprétation des artistes, et pour un album de pop par exemple, de faire des choix fondamentaux sur la production elle-même: arrangements, l’esthétique, le choix des musiciens, des instruments, etc…

Pour en revenir au mixage et à la prise de son, il me parait naturel et assez évident de confier ces deux travaux au même professionnel, cela s’inscrit dans une démarche de cohérence. L’idée consiste à travailler au maximum à la source pendant la prise de son, et pouvoir ainsi faire des choix cohérents correspondants à l’esthétique du son final, et par là également limiter autant que possible les mauvaises surprises au mixage, et souvent le rendre plus simple.

Pourriez-vous nous exposer simplement a quoi sert l’étape du mixage ? les musiciens participent ils à cette étape ?

Un mixage a pour objet d’organiser l’équilibre des différentes pistes en travaillant sur un certain nombre d’aspects du son comme le spectre, la dynamique et la spatialisation. Sur chaque piste, l’égalisation a pour objet de modifier l’aspect fréquentiel du signal afin que chaque instrument trouve sa place dans le spectre global, tandis que le travail sur les traitements dynamiques permet de contenir les crêtes ou colorer le son. Généralement, les artistes ne sont pas présents pendant cette étape qui représente un travail assez technique et comme je le dis parfois « c’est un métier ». Le mixage demande de la concentration et donc un certain isolement. Mais certains musiciens sont soucieux de maitriser au maximum leur son (avec plus ou moins de réussite) et veulent assister à une partie du mix. La plupart du temps, les artistes valident les mixes en écoutant sur leur propre système et m’envoient leurs commentaires par mail. Cela fonctionne très bien pour tout le monde.

Avec Joël, c’est un peu différent, car nous nous connaissons depuis 25 ans et nous sommes très complices, et il est vrai que ce mixage est un peu particulier, car les sonorités des instruments sont assez inédites comme par exemple des cloches et un violon, ou plein de percussions superposées. Il lui appartient de définir l’esthétique d’un instrumentarium totalement inédit.

Le prochain album de Joël Grare (en cours de mixage) va demander au final combien de temps pour sa réalisation complète ?

Cet album a été enregistré dans le studio de Joël, la prise de son a demandé sept jours, trois journées seront nécessaires pour le mixage et une pour le mastering. Le master (qui est en réalité un prémaster) sera ensuite envoyé pour la fabrication des CD à l’usine. On obtient le disque final quelques jours après. Mais aujourd’hui avec des plateformes comme Qobuz on envoie également des fichiers Haute Résolution pour que les auditeurs puissent bénéficier de la résolution d’origine du master. Par exemple, je travaille assez souvent en 96kHz pour les projets acoustiques. Ce décompte ne prend bien évidemment pas en compte le travail de répétitions entre les musiciens et le travail de composition qui peut prendre beaucoup de temps. 

Comment abordez-vous les enregistrements live ou les prises de son hors studio dans des acoustiques particulières ?

Pour tout dire, je privilégie autant que possible le travail en studio, l’idée étant de pouvoir maitriser au maximum l’environnement acoustique et technique. Au contraire les enregistrements live sont certes des expériences intéressantes humainement, mais qui restant assujettis à un grand nombre de contraintes et d’évènements voire d’imprévus où le temps est compté (le début d’un concert n’attend pas…). Et l’aspect créatif y a parfois peu de place, notamment en captation vidéo…

Les enregistrements dans des acoustiques naturelles (comme une église ou une abbaye) sont intéressants puisqu’il convient aussi de capter l’acoustique des lieux. Et même dans le cas d’une prise de proximité (que j’affectionne particulièrement), cette acoustique donnera une couleur aux instruments qui sera caractéristique. Ce travail sera d’autant plus facile avec de très petites formations. Et là encore, la captation de grands orchestres ou d’ensembles non homogènes dans des acoustiques très réverbérantes par exemple, peuvent être très complexes à réaliser et donnent lieu à des problématiques souvent compliquées qui peuvent desservir la prise de son et parfois la musique elle-même. Il convient comme pour tout projet de bien réfléchir au rapport que le musicien aura avec le lieu dans lequel il va enregistrer. Cela fait aussi partie de mon travail.

PSI audio A17M

Quel regard portez-vous sur le matériel haute fidélité ?

Je ne suis pas certain d’être le mieux placé pour parler de cela, car je n’éprouve pas le besoin d‘avoir à disposition un système haute fidélité. J’ai une paire d’enceintes Audio Référence pour mon home-cinema mais   toutes mes écoutes sont effectuées sur mes enceintes de monitoring PSI audio A17M que je trouve formidables pour leur très grande précision. A tel point que lorsque j’ai changé mes anciens pour ces nouveaux moniteurs, à l’écoute du dernier mix que j’étais en train de réaliser, j’ai tout refait. Pour avoir tout de même entendu de nombreuses enceintes HIFI, je trouve que la différence avec des enceintes actives de monitoring porte surtout sur la précision, notamment dans la restitution de l’image stéréo et des transitoires .

Pouvez-vous partager quelques enregistrements qui représentent une référence pour vous ?

Il y en a beaucoup bien sûr ! Mais le premier qui me vient à l’esprit, c’est «  Both Sides now » , un album symphonique de Joni Mitchell dont les qualités, tant musicales que techniques sont exceptionnelles. Le son (de la voix particulièrement), les musiciens, les arrangements, tout est réalisé pour moi dans la perfection !

Dans le domaine des voix dans un registre plus pop il y a aussi ce mythique duo entre Peter Gabriel et Kate Bush « Don’t give up » de l’album « so » qui nous fait tous tomber par terre à chaque fois qu’on l’entend en studio sur des grosses écoutes. Je suis un très grand fan de “Up” de Peter Gabriel justement. Un album personnel, original et impeccablement réalisé. Bien entendu pas mal d’albums des années 70, une époque que j’apprécie pour le côté très créatif et exploratoire, particulièrement Led Zeppelin dont j’ai écouté il y a quelques jours cinq fois d’affilée comme un retour aux sources, l’excellent « ramble on ».

Joni Mitchell “Both Sides Now”

Dans le domaine de la pop, je pense aussi à cet album du groupe Tears for Fears « The seeds of Love » dont le premier titre « woman in chain » est bijou sonore absolu. Et bien sûr un album que beaucoup d’ingénieurs du son ou musiciens adorent pour le son : “Dangerous” de Michael Jackson. Pour le classique, j’ai récemment découvert Arcadi Volodos « plays Brahms » et j’ai été totalement impressionné par la maitrise musicale et le son de ce pianiste russe. Un disque à écouter pour tous les fans de piano. Pour le jazz, mes références sont les grands classiques,  “Kind of Blue” de Miles Davis est un bijou sonore difficile à égaler aujourd’hui.


 

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